Ales Bialiatski est le chef et le fondateur du centre de défense des droits humains Viasna. Prisonnier politique, Ales a été jeté derrière les barreaux le 14 juillet 2021, tout comme d'autres défenseurs des droits humains de Viasna, pour ses activités pacifiques de défense des droits humains et son aide aux Bélarussiens persécutés. Il a consacré toute sa vie à la défense et à la promotion des droits humains au Bélarus. En 2022, il a partagé le prix Nobel de la paix avec le il a partagé le prix Nobel de la paix avec le Centre ukrainien pour les libertés civiles et l'organisation russe des droits humains Memorial. Cette page décrit le parcours complexe mais cohérent du défenseur bélarussien des droits humains, son combat pour les valeurs démocratiques, du militantisme étudiant au prix Nobel de la paix.
Ales Bialiatski est né le 25 septembre 1962 à Viartsilia, dans le district de Sortavala en Carélie, Union Soviétique, où ses parents étaient venus du Bélarus pour gagner de l'argent. Deux ans plus tard, les Bialiatski sont rentrés au Bélarus et se sont installés à Svietlahorsk.
« C'est à cette époque là que je suis devenu papivore et je le suis encore aujourd'hui. Cela dit, personne ne m'a appris à lire. J'ai maîtrisé l'alphabet tout seul. À l'âge de cinq ans, j'ai demandé à mon grand frère en pointant du doigt dans un abécédaire : ça, c'est quelle lettre ? et ça? et ça ? Puis jai commencé à lire, et mes parents ont été surpris. Jusqu'à l'âge de 10 ans, j'aimais les bagarres, ne connaissais pas la peur et me bagarrais avec succès, car personne ne s'attendait à un coup de poing d'un gaucher. Et puis je me suis tant épris d'un goût pour la lecture que je me suis mis à passer plus de temps chez moi. »
En 1979, Ales Bialiatski s'inscrit à l'Université d'État de Homiel, à la filière d'histoire et de lettres, où il a commencé ses recherches littéraires et ses activités de militant.
« C'est là que nous avons commencé à réfléchir aux problèmes de la langue bélarussienne, de la vulgarisation de l'histoire et de la culture. Et du sort du Bélarus en général. Nos réflexions portaient sur notre avenir et notre situation actuelle. J'étais déjà préoccupé par les problèmes d'identité nationale, par la « bélarussitude ».
En 1981, avec l'argent gagné pendant les vacances d'été, j'ai fait un tour des lieux historiques du Bélarus. J'ai eu tant d'impressions. Le constat essentiel était que la langue bélarussienne était toujours vivante ! Contrairement à aujourd'hui, elle se parlait dans les villages et les hameaux, presque partout.
Au cours de ce voyage, j'ai eu la chance de visiter Mikalaïeùchtchyna, qui, comme vous le savez, était le « lieu natal » de Iakoub Kolas. C'était justement à la veille du 100e anniversaire de la naissance de l'oncle Iakoub et il y avait quelques artistes qui y travaillaient. Le plus actif d'entre eux était Mikola Koupava. J'ai été frappé par leur langue bélarussienne. C'était la raison pour laquelle j'ai fait leur connaissance. Mikola m'a demandé : « Tu t'appelles comment ? » J'ai répondu : « Sacha ». Et Koupava a dit : « Non, c'est pas Sacha, c'est Ales. » Ainsi, dès l'âge de 19 ans, je suis devenu Ales, je me suis mis à parler exclusivement le bélarussien et j'ai décidé que tout ce qui était bélarussien serait la cause principale du reste de ma vie. En fait, c'est ce qui s'est passé. »
Ales se souvient que les autres étudiants lui parlaient volontiers en bélarussien, mais restaient bilingues, alors que Bialiatski utilisait exclusivement le bélarussien, même pendant les cours de littérature russe.
« Nous nous sommes bélarussisés, sans recours possible. Je brûlais d'envie d'influencer les autres, de promouvoir la langue bélarussienne, d'éveiller la conscience nationale. Le choix de cette mission d'éducateur, de la voie de la renaissance a également été encouragé par les contacts que j'avais établis avec des étudiants bélarussophiles de Minsk, Vintsouk Viatchorka et d'autres.
Il me semblait alors que tels les atomes actifs, poussant les autres, leur donnant une impulsion, transmettant notre charge positive bélarussienne, nous provoquerions inévitablement une réaction en chaîne qui conduirait à la formation d'une forte intelligentsia bélarussienne, qui, à son tour, instruirait les larges masses des gens ordinaires. ... Il valait la peine de donner sa vie pour cette cause » , tels sont les souvenirs que garde A. Bialiatski de cette période en les relatant dans son livre Une bataille contre soi-même rédigé principalement pendant son emprisonnement dans la colonie de Babrouïsk.
En 1981, Ales et ses amis ont fondé un groupe de rock étudiant, « Baski ». La marque de fabrique de ce groupe de rock centré sur le Bélarus, composé de trois guitares, d'une batterie et de voix, était une chanson espiègle aux paroles convaincantes en bélarussien : « Толькі так! Свой трымай кірунак! Толькі так! У гэтым наш ратунак! Толькі так! » (« Juste comme ça ! Suis ton chemin ! Juste comme ça ! C'est là notre salut ! Juste comme ça ! »).
Ales a terminé ses études de philologie en 1984. Il a travaillé comme enseignant dans le district de Leltchytsy de la région de Homiel avant de devenir doctorant de l'Institut de littérature de l'Académie des sciences de la République Soviétique de Biélorussie.
Son service militaire fait, Ales a poursuivi ses études en tant que doctorant se consacrant à la fois à des recherches scientifiques, au travail littéraire et aux activités de militant. En 1986, Bialiatski fut l'un des fondateurs de l'association de jeunes écrivains Tuteïchya. Plus tard, il en a été élu président.
« Toutes nos activités se répartissaient en deux volets. D'abord la partie clandestine. On était une petite douzaine de compagnons d'idées qui choisissaient les directions stratégiques de notre activité et les pistes les plus appropriées pour atteindre notre objectif. On publiait dans la revue Bouratchok (Petite Betterave).
Le deuxième volet était légal. Il s'agissait des activités des organisations dites « informelles », qui rassemblaient les jeunes en fonction de leurs intérêts. L'une d'elles, l'association de jeunes écrivains Touteïchya, a été imaginée et fondée par Anatol Sys et moi-même.
C'était le tournant d'une époque. Les anciennes autorités étaient en train de s'effondrer, les œuvres des écrivains injustement oubliés commençaient à être publiés, les gens commençaient à discuter de sujets interdits. »
En un seul jour, le 19 octobre 1988, Bialiatski a cofondé la première organisation de défense des droits humains Martyrologe du Bélarus et est devenu membre du comité d'organisation du Front populaire bélarussien Adradjennie (« Renaissance »). Il avait 27 ans.
Quelques semaines plus tard, le 30 octobre 1988, la légendaire marche des Dziady (« Aïeux ») a eu lieu à Minsk. Il s'agissait de la première manifestation publique au Bélarus, et Bialiatski en était l'un des organisateurs officiels. Il a ensuite été arrêté en tant qu'organisateur et a reçu une amende de 200 roubles soviétiques (l'équivalent d'un bon salaire mensuel à l'époque).
« Nous avons décidé d'organiser le rassemblement malgré les appels répétitifs des autorités à ne pas le faire. Ils ont même essayé de nous intimider. Cela a provoqué une réaction opposée. À notre grande surprise, des milliers de personnes sont venues à Dziady-88.
Les autorités se préparaient à disperser ce rassemblement et à le déclarer inadmissible. Ce n'est que plus tard que j'ai mis la main sur un document réglementant ce qu'ils allaient faire. Un groupe neutralise les leaders, l'autre capture les appareils audio, etc. C'était le scénario d'après lequel ils ont opéré effectivement.
J'ai été arrêté immédiatement. Il faut dire que la résonance qu'a eu cette manifestation a été tout à fait inattendue pour eux. La société a été scandalisée, les gens ont commencé à réfléchir à ce qui se passait autour d'eux et à ce qu'il fallait faire. Étant donné que le comité d'organisation du Front populaire bélarussien avait été créé le mois précédent, cela a provoqué un afflux de milliers de nouveaux adhérents. Des changements démocratiques au Bélarus s'effectuaient à grands pas. Personne n'aurait pu le prédire. Le rêve d'indépendance d'un jeune homme est devenu une réalité. »
Bialiatski a terminé ses études de troisième cycle à l'Institut de littérature de l'Académie des sciences de la République de Biélorussie au printemps 1989, mais il a refusé de soutenir sa thèse. Elle cependant a servi de base pour son premier livre La littérature et la nation publié en 1991.
En 1989, Ales a commencé à travailler au musée de l'histoire de la littérature bélarussienne, tout d'abord en tant que chargé de recherche, puis il a été élu directeur du musée littéraire Maksim-Bahdanovitch. Il a occupé ce poste jusqu'en août 1998.
« Il y a eu une tendence (venue de très haut) dans l'Union soviétique d'alors d'élire les chefs de diverses entreprises et institutions. Le musée voisin Maksim-Bahdanovitch a bientôt annoncé un tel concours.
J'étais chargé de recherche et j'ai décidé d'y participer. Il y avait quatre candidats, mais tous les votes sont allés vers moi. Telle était la décision de l'équipe. Il faut noter que cela a provoqué une certaine confusion, pour ne pas dire plus, au sein du ministère de la Culture. Ils connaissaient bien mon parcours précédent. La validation de ma nomination s'est fait attendre pendant un mois, puis le ministre de l'époque, Yaùhen Vaïtovitch, a cédé en disant : nommez-le. »
Sous la direction d'Ales Bialiatski, deux expositions ont été réalisées : Belarouskaïa Hatka ( « Une maison bélarusienne » ) et celle du musée littéraire central Maksim-Bahdanovitch à Minsk. Il a pris une part active aux événements célébrant le 100e anniversaire de la naissance de M. Bahdanovitch, qui se sont déroulés au Bélarus, en Ukraine et en Russie. Ales est à l'origine de la publication de collections d'archives concernant la vie de Bahdanovitch, celle de ses proches et de ses connaissances, et de la publication des mémoires du père du poète, Adam Bahdanovitch.
« En travaillant au musée, je ne me suis pas accroché à mon poste, je voyais le musée comme un espace national, pas comme un dépôt d'objets morts. C'est pourquoi, pendant plus d'un an, les journaux Svaboda ( « Liberté ») de Hermentchouk et Nacha Niva ( « Notre champ ») de Doubavets y ont été installés, les séances du Conseil et de la Diète du Front bélarussien populaire ont eu lieu ainsi que des réunions de l'Association catholique bélarusienne, le Noël uniate a été célébré, et des dizaines d'ONG y ont été enregistrées. Bref, le musée était le centre de la vie moderne bélarussienne. »
En 2021, Ales Bialiatski a commencé à rédiger ses mémoires du musée Maksim-Bahdanovitch au centre de détention provisoire.
Derrière les barreaux, le 8 décembre 2021, Ales a également célébré le 30e anniversaire du musée.
« On vient juste de célébrer le 130e anniversaire de la naissance de Maksim Bahdanovitch. Tout au long des mois de novembre et décembre, je me suis rappelé comment, il y a 30 ans, nous avions ouvert le musée Maksim-Bahdanovitch au Faubourg de la Trinité. Pendant deux ans avant l'ouverture, mes collègues du musée et moi-même avons travaillé sans relâche. Quel plaisir et quelle joie ce fut lorsque le musée a ouvert ses portes aux visiteurs ! Il y a eu un court reportage à la télé à propos du musée, et cela a fait plaisir de le regarder. Comme on dit : « Il était une fois une autre époque. » 30 ans, ça fait rêver ! C'est ainsi que la vie passe », notait Ales dans ses lettres à propos de cette date importante.
En 1991, l'équipe du musée Maksim-Bahdanovitch et la revue Spadtchyna (« Héritage ») ont désigné Ales Bialiatski comme leur candidat aux élections parlementaires.
Ales a été député du Conseil de la ville de Minsk de 1991 à 1996.
En 1996, les autorités ont brutalement dispersé la marche Tcharnobylskiy Chliah ( « Chemin de Tchernobyl ») qui a rassemblé des milliers de personnes, en arrêtant plus de 200 manifestants. Les militants se sont alors réunis pour aider les personnes arrêtées et leurs familles. C'est ainsi qu'est née l'initiative pour la défense des droits humains Viasna-96, qui s'est ensuite transformée en centre de défense des droits humains Viasna avec des antennes dans plusieurs villes bélarussiennes. Son fondateur, Ales Bialiatski, reste le président de l'organisation jusqu'à ce jour.
« Pendant les deux premières années, j'ai travaillé à Viasna tout en continuant mon travail au musée. Et puis j'ai dû démissionner et abandonner mes activités littéraires et muséales au profit du militantisme pour les droits humains.
Pour être honnête, lorsque cette organisation a été créée, je ne pensais pas qu'elle durerait aussi longtemps. Je croyais qu'au bout de 2 ou 3 ans (5 ans au plus), on n'en aurait plus du tout besoin, et que nous retournerions aux activités habituelles : muséales, littéraires, scientifiques et politiques. Malheureusement, j'ai eu tort », se souvient Ales Bialiatski.
Depuis que les défenseurs des droits humains ont organisé l'observation de l'élection présidentielle de 2001, la pression sur eux s'est accrue. En 2003, la Cour suprême a privé Viasna de l'enregistrement de l'Etat ce qui signifiait la suppression effective de l'organisation.
En 2007, le Comité des droits humains de l'ONU a jugé que la dissolution du centre des droits humains Viasna violait le droit à la liberté d'association et a recommandé de rétablir Ales Bialiatski et ses collègues dans leurs droits.
En 2007, puis à deux reprises en 2009, on a tenté, en vain, d'enregistrer l'organisation auprès du ministère de la Justice. À l'époque, les défenseurs des droits humains de Viasna ont déclaré qu'ils poursuivraient leurs activités pacifiques en faveur des droits humains sans avoir l'enregistrement officiel.
En 2007, Ales Bialiatski a été élu vice-président de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).
Tout au long de l'existence de Viasna, les autorités ont exercé des pressions répétées sur les défenseurs des droits humains pour leurs activités sociales et leur aide aux personnes persécutées. Ales a toujours activement soutenu les Bélarussiens persécutés et pour cette raison il a été arrêté dans le cadre d'une affaire criminelle. Le 4 août 2011, Ales Bialiatski a été arrêté pour avoir dissimulé ses revenus à une échelle particulièrement importante (Art. 243 para. 2 du Code criminel). Le ministère de la Justice lituanien et le bureau du procureur général de Pologne ont donné aux autorités bélarussiennes des informations concernant les comptes détenus par le défenseur des droits humains dans des banques étrangères. Ces comptes étaient utilisés pour recevoir une aide financière destinée aux victimes de persécutions de la part des autorités bélarussiennes.
Le 24 novembre 2011, le tribunal du district Perchamaïski de Minsk a condamné Ales Bialiatski à 4 ans et demi de prison ferme en régime renforcé avec confiscation des biens. Il a plaidé non coupable, affirmant que tout l'argent a été utilisé pour des activités liées à la défense des droits humains et pour aider les gens.
« J'ai consacré presque toute ma vie au travail pour les droits humains, et au militantisme en général. Cette année, cela fait 30 ans que je mène les activités de militant. La période où je me suis senti plus ou moins à l'aise et libre durait de 1991 à 1995. Vu la mauvaise situation dans laquelle le pays se trouve en permanence ces dernières années, il est naturel que des poursuites pénales puissent être engagées à tout moment. Et ce qui devait arriver , est arrivé. Je ne regrette donc pas une seule décision que j'ai prise au cours de ces 30 années pour défendre la démocratie et les droits humains au Bélarus. Je l'ai fait sciemment », a déclaré le défenseur des droits humains dans sa dernière déclaration lors du procès.
Cette condamnation manifestement motivée par des considérations politiques a été dénoncée par l'Union européenne et les États-Unis et les principales organisations internationales de défense des droits humains, ainsi que par les dirigeants des partis politiques d'opposition bélarussiennes. Le ministère bélarussien des Affaires étrangères a critiqué une telle réaction des pays occidentaux au verdict. Bialiatski a été envoyé à la colonie pénitentiaire n° 2 de Babrouïsk pour y purger sa peine.
Le 23 novembre 2012, le Groupe de travail de l'ONU sur la détention arbitraire a publié sa décision qui stipulait que l'arrestation d'Ales Bialiatski violait l'article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (droit à la liberté d'association).
Decision of UNHRC on Ales Bialiatski’s case
Le 21 juin 2014, Ales Bialiatski a été amnistié, après avoir passé 1 052 jours en prison. Ales a repris son travail en faveur des droits humains et son rôle de président de Viasna, malgré le risque constant de persécutions au Bélarus.
Au total, Ales Bialiatski a publié une dizaine de livres, dont une grande partie a été écrite pendant son emprisonnement. Dans ses ouvrages, il traite les événements de sa vie personnelle et de la vie publique, parle des gens qui l'entourent, de ses voyages, de l'histoire et de la littérature du Bélarus, et de la condition de prisonnier. En 2016, le défenseur des droits humains a écrit le livre Une bataille contre soi-même — , une biographie artistique du poète Edouard Akouline. Les trois premiers chapitres de ce livre ont été rédigés dans la prison de Babrouïsk. Il a également publié l'essai Si Dieu est avec nous, qui est alors contre nous ? consacré au voyage à Cracovie à l'occasion du 25e anniversaire de Solidarność.
Les livres d'Ales Bialiatski (dont quatre ont été rédigés derrière les barreaux) :
Ales Bialiatski a reçu plusieurs prix littéraires : le prix de l'Association des écrivains norvégiens « Pour la liberté d'expression » (2011) et le prix Frantsichak Aliakhnovitch pour le livre Le Mercure de la vie (Irtutnaïe srebra jytsya). Prologue : les notes d'un défenseur des droits humains (2014).
En 2020, le Belarus a connu les plus grandes manifestations de masse de son histoire : les gens protestaient contre les résultats truqués de l'élection présidentielle. Viasna a effectué l'observation de l'élections dans le cadre de la campagne « Défenseurs des droits humains pour les élections libres » et a également aidé les victimes de la répression. Il n'a pas fallu longtemps pour que les autorités réagissent aux activités des défenseurs des droits humains qu'elles jugeaient intolérables.
Le 16 février 2021, la première attaque majeure contre des membres d'organisations de la société civile a eu lieu partout au Bélarus, notamment contre les défenseurs des droits humains de Viasna. Dès le matin, les forces de l'ordre se sont présentées au bureau du centre de défense des droits humains situé 78a avenue Niezalejnastsi à Minsk, pour une perquisition, au cours de laquelle Ales Bialiatski était présent. Des perquisitions ont également eu lieu dans les antennes régionales de Viasna à Mahilioù, Retchytsa, Mazyr et Brest.
« Dans le cadre d'une enquête préliminaire visant à établir les circonstances du financement des activités de protestation, l'instruction a procédé à des perquisitions auprès des organisations qui se positionnent comme des défenseurs des droits humains », a déclaré un représentant du comité d’enquête interrogé sue cette attaque massive menée contre les militants de la société civile..
De nombreux défenseurs et militants des droits humains ont vu leur matériel saisi, et il n'a pas été restitué à ce jour. Les enquêteurs ont ensuite commencé à convoquer des collaborateurs de l'organisation et des bénévoles pour les interroger sur le « financement des actions qui violent gravement l'ordre public ». Ce que l'État reproche à Ales et à d'autres défenseurs des droits humains de Viasna c'est que, en aidant des victimes des violences commises par les autorités, ils auraient encouragé les gens à participer aux protestations.
Le centre de défense des droits humains Viasna a publié une déclaration concernant ces poursuites pénales :
« Dans la situation actuelle de crise aiguë des droits humains dans le pays, les activités de Viasna visent à aider les victimes de persécutions politiques et de violations massives des droits humains. À cette fin, nous utilisons activement les dispositifs internationaux des droits humains, notamment au sein des organisations internationales telles que l'OSCE et l'ONU.
Nous considérons les poursuites criminelles éngagées contre le centre des droits humains Viasna comme une attaque de plus de la part du régime autoritaire d'Alexandre Loukachenko, liée à nos activités de défense des droits humains. Cette attaque se déroule dans le contexte de persécutions sans précédent dans notre pays. »
Ales Bialiatski a été convoqué au comité d'enquête pour un interrogatoire dans l'« affaire Viasna » en tant que témoin le 7 avril 2021, mais l'interrogatoire n'a pas eu lieu parce que le défenseur des droits humains a exigé qu'il se déroule en langue bélarussienne que le procès-verbal de l'interrogatoire soit également rédigé en bélarussien. L'interrogatoire a été finalement reporté à un autre jour.
« Certains commentateurs ont considéré le report de l'interrogatoire comme une victoire, affirmant que Bialiatski avait damé le pion au comité d’enquête. En fait, je n'y vois point de victoire dans ce sens. Ce n'était pas mon objectif. Plaisanter avec le comité d'enquête aujourd'hui, c'est comme taquiner une vipère.
Mais j'ai gagné d'une autre manière en défendant le droit de rester moi-même dans cette situation agitée et chaotique. Ce qui était inhabituel pour le comité d'enquête était pour moi une chose ordinaire. Pour moi, le bélarussien n'est pas un accessoire exotique ou un habit à la mode. La situation elle-même a dévoilé une fois de plus la détresse dans laquelle notre langue se trouve actuellement », a écrit Ales dans son blog.
The next interrogation lasted four hours and was conducted entirely in Belarusian.
Dans le documentaire de Radio Liberty, Ales a répondu aux journalistes qui lui ont demandé ce que les Bélarussiens devraient faire si les défenseurs des droits humains étaient soudainement emprisonnés :
« Ce qui m'a frappé, et ce qui m'a donné une grande satisfaction, c'est ce que nous avons vu après que les informations sur les tortures aient circulé dans la société bélarussienne. Les revendications de la société bélarussienne, de ces centaines de milliers de manifestants, c'est tout ce que les militants bélarussiens des droits humains ont toujours exigé. Ils exigeaient des élections honnêtes, la punition des responsables des crimes et la libération de tous les prisonniers politiques. C'est notre mission, c'est nos mots d'ordre stratégiques, ce à quoi nous avons toujours aspiré. Il est très important de comprendre que, dans notre situation, nos droits ne peuvent être défendus que par l'ensemble de la société bélarussienne, des militants des droits humains ou des journalistes n'y arriveront pas tous seuls.
Il est vrai que nous pouvons être persécutés, nous pouvons être emprisonnés, nous pouvons être expulsés du pays, mais dans cette situation, seuls des millions de Bélarussiens peuvent défendre leurs droits. Par conséquent, il est très important que ce désir et cette revendication du respect des droits concernant chaque citoyen, que cette demande et cette pression viennent de toute la société bélarussienne. »
Une autre attaque à la société civile s'est produite le 14 juillet 2021. Ce jour a été surnommé « mercredi noir ». 11 membres de Viasna ont été arrêtés. Ales Bialiatski, Valiantsin Stefanovitch et Ouladzimir Labkovitch ont été placés en garde à vue et transférés au centre de prédétention n° 1 de Minsk, connu sous le nom de Valadarka.
Les détails de l'arrestation du président de Viasna sont encore inconnus, car il était seul au moment des faits. Le matin du 14 juillet, il a cessé de répondre aux appels téléphoniques de ses collègues, ce qui ne lui ressemblait pas du tout. Ce n'est qu'à 18 heures que les collaborateurs de Viasna ont appris qu'Ales avait été placé en garde à vue dans le cadre d'une affaire criminelle. On sait que son domicile a été fouillé, mais les forces de l'ordre n'ont même pas présenté le mandat respectif. Les locaux de Viasna à Minsk, rue Merjynskaha, où se trouvait auparavant le cabinet de travail de Bialiatski, est scellé.
L'enquête sur l'affaire criminelle contre le collectif de Viasna est tenu en top secret. Pendant longtemps, les collègues et les proches d'Ales ne savaient même pas exactement en vertu de quel article il était accusé.
Le calendrier des audiences du tribunal comportant l'examen de l'appel d'Ales Bialiatski contre la prolongation de sa détention fixé au 6 octobre 2021, a permis de savoir de manière fiable que le défenseur des droits humains était accusé en vertu de l'article 243.2 du Code pénal (évasion fiscale). Le tribunal a rejeté l'appel, comme tous les appels ultérieurs.
La principale réclamation de l'État contre les défenseurs des droits humains est l'absence d'enregistrement du centre des droits humain Viasna. Les autorités ont donc conclu que les collaborateurs de Viasna avaient omis de faire reconnaître l'organisation comme un sujet fiscal et de remplir ses obligations en tant que tel.
Le 26 septembre 2022, on a appris que les poursuites pénales à l'encontre d'Ales Bialiatski et d'autres militants de Viasna en vertu de l'article 243.2 du Code pénal (évasion fiscale) ont été abandonnées. Cependant, les trois défenseurs des droits humains n'ont pas été relâchés. Ils ont été accusés de contrebande (transfert illégal de grandes quantités d'argent liquide à travers la frontière douanière de l'Union économique eurasienne par un groupe organisé) en vertu de l'article 228.4 du Code pénal et de financement d'actions de groupe portant gravement atteinte à l'ordre public, en vertu de l'article 342.2 du Code pénal. On sait que ces nouvelles accusations portent toujours sur la même somme d'argent qui figurait dans l'acte d'accusation pour évasion fiscale. Les trois prisonniers politiques de Viasna, dont Ales Bialiatski, risquent désormais de 7 à 12 ans de prison.
Le 28 novembre, on a appris que le bureau du procureur général a porté l'« affaire Viasna » devant le tribunal. La date du procès n'a pas encore été fixée.
La famille et les collègues d'Ales n'ont pratiquement aucune information sur l'évolution de son affaire et les mesures d'investigation l'impliquant car ses avocats doivent se conformer à un engagement de non-divulgation. Les lettres de sa part sont rares.
« Il y a peu de nouvelles alors que les journées s'écoulent de façon monotone, du contrôle du matin au contrôle du soir, du réveil au coucher, du petit-déjeuner au déjeuner, du déjeuner au dîner. C'est comme si rien ne se passait, mais vous ne pouvez pas tout décrire. Bref, cette situation résonne pour moi avec le titre du roman Dix ans plus tard d'Alexandre Dumas », a écrit Ales Bialiatski en novembre 2021.
La santé d'Ales s'est détériorée derrière les barreaux : ce problème est typique et fréquent pour les prisonniers politiques bélarussiens. Au sixième mois de son emprisonnement, la femme d'Ales a noté que son écriture avait changé. Un jour, elle a même pensé que la lettre n'était pas de son mari. Elle attribue cela au fait que la vue du défenseur des droits humains s'est détériorée.
« Cela est dû aux circonstances et aux conditions de la détention, à toutes les difficultés auxquelles Ales est confronté actuellement », a-t-elle déclaré.
D'après les informations des défenseurs de droits humains, à la fin du mois d'août 2021, Ales Bialiatski a été placé dans ce qu'on appelle le « couloir spécial » : une pièce en demi-sous-sol aux conditions exécrables.
Le procès d’Ales Bialiatski, président du Centre de défense des droits humains Viasna et lauréat du prix Nobel, de son adjoint Valiantsin Stefanovitch, par ailleurs vice-président de la FIDH, d’Ouladzimir Labkovitch, coordinateur de la campagne « Défenseurs des droits de l’homme pour des élections libres », et de Zmitser Salaùioù (par contumace), militant des droits de l’homme, a débuté le 5 janvier 2023 au tribunal du district Lieninski de Minsk. Les quatre hommes étaient jugés en vertu du paragraphe 4 de l’article 228 (« blanchiment d’argent en bande organisée ») et le paragraphe 2 de l’article 342 du Code pénal (« financement d’actions collectives portant gravement atteinte à l’ordre public »).
Selon l’accusation, les défenseurs des droits humains, « agissant dans le cadre d’un groupe organisé, sur la période du 4 avril 2016 au 14 juillet 2021, ont encaissé des sommes provenant de divers fonds et structures sur des comptes bancaires d’une organisation étrangère placés sous leur contrôle, à la condition de les utiliser au Bélarus pour des activités illégales et pour financer le Centre des droits humains Viasna, ainsi que d’autres organisations. Ensuite, avec l’aide d’autres personnes agissant dans une intention commune, ils ont assuré le mouvement illégal de grandes quantités d’espèces, encaissées sur le territoire de la République de Lituanie, à travers la frontière douanière de l’Union économique eurasienne pour des montants s’élevant à au moins 201 000 euros et 54 000 dollars américains, en les faisant progressivement transiter à travers la frontière sans déclaration. » Selon les pièces du dossier, « ils ont, avec le même groupe, aidés par d’autres personnes, délibérément préparé des citoyens à participer à des actions de groupe portant gravement atteinte à l’ordre public, ainsi qu’à financer et à soutenir matériellement ces actions sous couvert d'actions caritatives et de défense des droits de l’homme, y compris pour le compte de Viasna et du Fonds non déclaré BY_HELP, au cours de la période allant de mai 2020 au 14 juillet 2021 ». Les défenseurs des droits de l’homme ont notamment été condamnés à payer des amendes et les honoraires des avocats, ainsi que des factures pour la nourriture dans les centres de détention.
Le procès s’est déroulé publiquement pendant près de deux mois sous la présidence du juge Maryna Zapasnik l’accusation étant soutenue par le procureur Aliaksandr Karol. Vingt-deux séances se sont déroulées, au cours desquelles les défenseurs des droits de l’homme étaient retenus dans le box menottés, la salle d’audience étant fermée à clé de l’intérieur. Ce procès s’est distingué par des « mesures de sécurité » renforcées : un portique métallique à l’entrée de la salle d’audience, de nombreux policiers en civil, une liste distincte des personnes présentes.
La journaliste Ekaterina Yanсhina, qui coopère avec l’ONG russe Memorial, a été arrêtée après la première audience. Après quinze jours de détention, elle a été expulsée du Bélarus et interdite de séjour dans le pays pour une durée de 10 ans. Une interdiction de séjourner au Bélarus a également été prononcée à l’encontre du vice-président de Memorial Oleg Orlov, présent lui aussi au premier jour du procès. Le militant des droits de l’homme a été notifié de cette décision à l’aéroport de Moscou, alors qu’il souhaitait revenir au procès de Viasna à Minsk pour le verdict.
Au procès, Ales Bialiatski et ses collègues se sont exprimés en bélarussien. Tout au long de celui-ci, le lauréat du prix Nobel de la paix a insisté pour que les séances se tiennent en bélarussien. Au cours des premières minutes de l’audience, les défenseurs des droits humains ont formulé des requêtes : que le procès se déroule en bélarussien, et que leurs menottes leur soient retirées, pour des questions de dignité. La juge n’a pas satisfait à la première requête et n’a même pas examiné la seconde, car elle relevait prétendument de la compétence de l’escorte policière.
Le président de Viasna a ensuite formulé une autre requête : la mise à disposition d’un interprète bélarussien, en arguant qu’il ne parlait pas suffisamment bien le russe. Ce à quoi l’accusé s’est vu répondre qu’il avait pris connaissance des documents de l’affaire pénale en russe et qu’il n’avait alors posé aucune question quant à leur compréhension. Le tribunal n’a donc pas satisfait non plus à cette requête.
Ales Bialiatski a exprimé un soupçon de partialité envers la juge Maryna Zapasnik et a demandé sa récusation. Ainsi que l’on pouvait s’y attendre, cette demande a été rejetée.
L’avocate d’Ales Bialiatski a également déposé une requête pour modifier sa mesure préventive de détention en une mesure non privative de liberté, en évoquant une maladie cardiovasculaire. Le procureur Aliaksandr Karol a quant à lui déclaré que « les documents de l’affaire indiquent que Bialiatski pourrait fuir la justice », et qu’il « ne voyait aucune raison de modifier sa mesure préventive ». Maryna Zapasnik n’a pas accédé à la requête.
L’affaire Viasna comptait 283 dossiers, de 300 pages chacun, un volume record pour une affaire politique au Bélarus. Ils contenaient de nombreuses informations sur les activités publiques des défenseurs des droits humains, publiées sur le site internet de Viasna et sur les réseaux sociaux, même après l’arrestation des accusés. Dans ces dossiersfigurait par exemple une liste de prisonniers politiques reconnus comme tels par la communauté des droits de l’homme au 3 septembre 2022 (1 322 personnes), soit peu de temps avant le dépôt des accusations finales et plus d’un an après l’arrestation des militants de Viasna. Ce protocole d’inspection faisait 128 pages. D’après les documents de l’affaire, il est apparu que les employés du GUBOPiK menaient une opération ciblée contre les défenseurs des droits humains depuis septembre 2020. C’est à cette période que les forces de l’ordre ont commencé à mettre sur écoute le téléphone du chef de la section de Brest Ouladzimir Vialitchkin. Lors du procès, il a été déclaré que les employés du GUBOPiK avaient mis sur écoute le prisonnier politique Leanid Soudalenka lors d’une entrevue avec son épouse dans la salle des visites de courte durée du centre de détention provisoire n ° 3 de Homel. Ceci s’était produit deux mois après l’arrestation du militant.
Ales Bialiatski a déclaré au début du procès qu’il n’avait pas eu le temps de prendre connaissance de plus de 70 dossiers de l’affaire. Il a demandé s’il pouvait encore les examiner, mais la juge lui a répliqué qu’il avait eu assez de temps pour cela, à savoir un mois, et qu’il n’y avait aucune raison de lui donner un délai. L’affaire comptait environ 100 témoins, mais seuls quelques-uns ont été interrogés. En outre, 120 perquisitions ont été effectuées dans tout le pays dans le cadre de l’affaire Viasna.
Ales Bialiatski a plaidé non coupable. Des militants des droits humains ont témoigné lors du procès. Voici les commentaires du président de Viasna lors d’une séance :
« La criminalisation de l’assistance aux victimes de la répression politique, qui s’est produite de manière inattendue après mai 2020, est immorale et inhumaine. C’est arbitraire, parce que cet article, le paragraphe 2 de l’article 342 du Code pénal, n’a pas changé, il est le même depuis de nombreuses années. Et soudain, à partir de mai 2020, on a commencé à s’en servir contre l’aide humanitaire aux victimes.
Il est dans la tradition du peuple bélarussien d’aider les personnes dans le besoin. Mais si le Code pénal est interprété de cette façon, qu’il est appliqué contre l’aide caritative, il est anti-humain. Jusqu’en mai 2020, une telle assistance était possible, et à partir de mai, on ne sait pourquoi, elle a été interdite. »
Les documents de l’affaire ont permis d’apprendre que le président de Viasna est visé par une sanction sous la forme d’une mesure de correction. Selon son dossier du centre de détention n°1, « Ales Bialiatski doit faire l’objet d’un contrôle de la part des surveillants pénitentiaires ».
Le 9 février 2023, les délibérations ont commencé, au cours desquelles le procureur Aliaksandr Karol a requis 12 ans de prison à l’encontre d’Ales Bialiatski. Il s’agit de la peine maximale prévue pour les chefs d’accusation dont les défenseurs des droits humains ont fait l’objet.
Le 13 février 2023, les prisonniers politiques et militants de Viasna ont prononcé un dernier discours fort en bélarussien.
À la veille de leur condamnation, les organisations internationales de défense des droits humains ont publié cette déclaration et réitéré leurs appels à libérer les militants et à abandonner toutes les accusations portées contre eux. Dans la soirée du 2 mars, des rassemblements de solidarité ont eu lieu dans les villes polonaises de Varsovie et de Gdansk.
Le 3 mars 2023, Ales Bialiatski a été condamné à 10 ans d’emprisonnement sous régime renforcé et à une amende de 185 000 roubles bélarussiens. Les autres défenseurs des droits humains impliqués dans l’affaire ont été condamnés à des peines allant de 7 à 9 ans de prison.
Tout le monde n’a pas pu assister à l’annonce du verdict, car la salle était remplie de jeunes policiers en civil. Il s’agissait vraisemblablement de cadets de l’Académie du ministère de l’Intérieur.
Les peines sévères infligées à ces défenseurs des droits humains ont provoqué l’indignation des Bélarussiens et de la communauté internationale. Dans de nombreuses villes du monde, des actions de solidarité avec les prisonniers politiques ont été organisées.
Le 13 février 2023, les prisonniers politiques et militants des droits humains de Viasna ont prononcé un dernier discours fort en bélarussien. Ales Bialiatski a, une fois de plus, souligné la persécution politique des militants et a laissé un message à notre société et aux autorités dans son discours. Voici la traduction des derniers mots du lauréat du prix Nobel de la paix à son procès :
« L’affaire criminelle contre nous, les militants des droits humains de Viasna, est politiquement motivée. Toute cette épopée de 284 volumes, des centaines de perquisitions et d’interrogatoires à travers le pays n’ont rien à voir avec l’enquête préliminaire, sans parler du sous-entendu politique. Et à cause de ce dernier il n’y avait pas non plus de procès équitable.
La soi-disant enquête criminelle a duré un an et demi. Parmi les quatre avocats qui m’ont défendu à différents stades, une seule a réussi à tenir jusqu’à la fin, Vital Brahinets étant condamné à huit ans de prisons et deux autres radiés du barreau ces derniers mois. Cette pression sans précédent sur les avocats montre les conditions difficiles et dangereuses dans lesquelles ils doivent défendre leurs clients.
La situation linguistique au tribunal est extraordinaire : le procureur et le juge ont catégoriquement refusé de parler bélarussien, malgré le fait que l’accusé, c’est-à-dire moi, est une personne bélarussophone dans sa vie de tous les jours. Je parle, écris et pense en bélarussien. Je vous rappelle que la langue bélarussienne est une langue officielle et que vous, en tant que fonctionnaires d’État, devez connaître deux langues officielles, dont la langue bélarussienne.
Le procureur et le juge ont pratiquement refusé de m’interroger, de poser les questions qui avaient suscité leur intérêt durant le procès et mon interrogatoire. Il semble que ni le parquet, ni le tribunal n’étaient intéressés par la vérité. Tout était clair pour eux dès le début, avant même le procès. Permettez-moi de vous rappeler que ni le parquet ni le tribunal ne m’ont donné l’occasion de prendre connaissance des 284 volumes du soi-disant dossier judiciaire.
Cela n’a eu lieu dans notre histoire que pendant les années sombres tsaristes et staliniennes, jusqu’à la mort de Staline en 1953. Au début des années 1980, lorsque l’URSS a connu l‘apogée de la lutte contre les dissidents, les militants des droits humains et les activistes des mouvements nationaux et religieux, il y avait environ trois mille prisonniers politiques pour l’ensemble de l’énorme empire soviétique qui comptait 250 millions d’habitants. Maintenant, il y a quinze cents prisonniers politiques au Bélarus tout seul.
Cette situation de crise généralisée de l’État menace dangereuseument pour la souveraineté bélarussienne. […] Pour la préservation du Bélarus en tant qu’État, pour l’avenir de notre peuple, nous devons tous, et en premier lieu les autorités, faire preuve de sagesse et de prévoyance.
Il est nécessaire d’entamer un large dialogue public visant à la réconciliation nationale, aussi difficile que cela puisse paraître. La condition préalable à un tel dialogue devrait être la libération de tous les prisonniers politiques, une large amnistie et la fin de la répression, car une amnistie n’a aucun sens si les gens sont libérés d’une main et maintenus en prison de l’autre.
Cela suffit, nous devons arrêter cette guerre civile ! »
L'arrestation d'Ales Bialiatski et la persécution des défenseurs des droits humains de Viasna ont provoqué une importante vague d'indignation dans le pays et à l'étranger.
Le jour suivant l'arrestation, les organisations bélarussiennes de défense des droits humains ont publié une déclaration reconnaissant les collaborateurs de Viasna arrêtés, Ales Bialiatski, Valiantsine Stefanovitch et Ouladzimir Labkovitch, comme des prisonniers politiques.
Très vite, 161 organisations de défense des droits humains du monde entier ont demandé de mettre fin à la persécution du centre des droits humains Viasna et de libérer les défenseurs des droits humains et les bénévoles.
La vice-présidente du Parlement européen Nicola Beer a rejoint la campagne de solidarité lancée par Libereco #WeStandBYou en soutien au président de Viasna, Ales Bialiatski.
« Je suis honorée de reprendre mes responsabilités. Mes responsabilités en tant que « marraine » d'un des centaines de prisonniers politiques au Bélarus. Ales Bialiatski est un homme honorable. Il a été nommé plusieurs fois pour le prix Nobel de la paix pour avoir défendu les droits humains et les libertés fondamentales au travers de ses activités pacifiques. À cause de cela, il se trouve actuellement en détention provisoire sur la base d'accusations forgées de toutes pièces. […]
Je soutiens de tout cœur la libération d'Ales Bialiatski car je sais quel service exceptionnel vous rendez à la société bélarussienne. Ici et maintenant, j'exige de M. Loukachenko et des autorités bélarussiennes qu'ils mettent fin aux poursuites criminelles, qu'ils cessent la persécution et qu'ils libèrent immédiatement tous les prisonniers politiques, y compris Ales Bialiatski. »
Le 17 septembre 2021, une campagne internationale pour la libération des collaborateurs de Viasna #FreeViasna a été lancée. Des centaines de militants et de sympathisants sont sortis dans de nombreuses villes du monde pour exprimer leur solidarité avec les défenseurs des droits humains.
Le 24 novembre 2021, lors d'un discours au Parlement européen, la leader des forces démocratiques du Bélarus Svetlana Tikhanovskaïa a évoqué le président de Viasna, Ales Bialiatski. Un an plus tard, elle a à nouveau mentionné au Parlement européen le nom d'Ales Bialiatski et a déclaré que le défenseur des droits humains avait appris la nouvelle de l'attribution du prix Nobel dans une cellule de prison. Et il y a tout juste deux ans, il était au Parlement européen pour recevoir le prix Sakharov.
« Dans chaque discours, dans chaque déclaration, il répétait : « N'oubliez pas le Bélarus. N'oubliez pas nos prisonniers politiques. » Depuis lors, le nombre de prisonniers politiques au Bélarus a multiplié par dix. Il y a maintenant 1 350 prisonniers politiques détenus dans des conditions inhumaines, et ce nombre augmente chaque jour. Ales est l'un d'entre eux. »
Le 27 novembre 2021, PEN International a appelé à libérer le défenseur des droits humains et écrivain Ales Bialiatski.
Le 4 août 2022, les militants des droits humains ont à nouveau commémoré la Journée de solidarité avec la société civile au Bélarus — ce jour-là, il y a 11 ans, le chef et le fondateur de Viasna, Ales Bialiatski, a été arrêté pour la première fois. Les partisants de Viasna ont organisé une action de solidarité devant l'ambassade du Bélarus à Vilnius. Le lieu et la date n'ont pas été choisis par hasard : en 2013, la première action de ce type a eu lieu près de l'ambassade du Bélarus à Vilnius pour exprimer la solidarité avec le président de Viasna emprisonné, Ales Bialiatski. Les manifestants ont alors porté des masques à son effigie. Aujourd'hui, Ales Bialiatski est à nouveau derrière les barreaux, et ses collègues sont à nouveau sortis pour protester.
Les prises de position d'Ales Bialiatski, courageuses, cohérentes, fondées sur les principes de défense des droits humains au Bélarus et dans le monde entier, ont été récompensées par de nombreux prix internationaux : en 2006, le prix suédois Per-Anger, le prix Sakharov de la Liberté et le prix Homo Homini remis par Vàclav Havel ; en 2011, le diplôme « Pour le courage et la lutte pour la liberté » du 5ème Festival international du film sur les droits humains à Bishkek et le prix du meilleur défenseur des droits humains de l'année ; en 2012, le prix du Département d'État américain, le prix Lech-Wałęsa et le prix Petra-Kelly en reconnaissance de son travail de défense des droits humains au Bélarus ; en 2013, le prix des droits de l'Homme Václav-Havel de l'APCE ; en 2019, le Prix franco-allemand des droits de l’Homme et de l’État de droit. Ales a été nommé cinq fois pour le prix Nobel de la paix.
Ales Bialiatski est citoyen d'honneur de trois villes : Paris, Gênes et Syracuse.
IEn 2020, Ales Bialiatski, président du centre des droits humains Viasna et son organisation sont devenus les premiers lauréats bélarussiens du prestigieux prix international Right Livelihood Award, connu comme le « prix Nobel alternatif ». Ales Bialiatski et Viasna ont reçu cette récompense pour leur rôle dans la lutte pour la démocratie et les droits humains au Bélarus.
En 2020, le Prix Sakharov « pour la liberté de l'esprit » a été décerné à l'opposition démocratique du Bélarus représentée par le Conseil de coordination, une initiative menée par des femmes courageuses ainsi que des figures politiques et de la société civile, dix personnalités réputées en tout, dont Ales Bialiatski.
« L'attribution du prix du Parlement européen à la vaste opposition démocratique bélarussienne est une reconnaissance des mérites de l'ensemble du peuple bélarussien qui lutte désespérément aujourd'hui pour un changement démocratique au Bélarus.
Le fait que mon nom figure sur la liste des lauréats est un geste de soutien à notre société civile, aux défenseurs bélarussiens des droits humains, à mes amis du centre de défense des droits humains Viasna », a déclaré Ales Bialiatski à propos du prix.
En automne 2022, le centre de défense des droits humains Viasna a reçu le prix Albie, créé par Clooney Foundation for Justice, dans la catégorie « Justice pour les avocats de la démocratie ».
« Le groupe de défenseurs des droits humains reste une voix de la résistance au Bélarus depuis près de 30 ans, menant une lutte courageuse pour la liberté et la démocratie contre le régime du président Loukachenko. Avant et après l'élection présidentielle truquée de 2020, le groupe a payé un prix élévé pour son travail : sept membres de Viasna ont été arrêtés sur la base des charges complètement montées, et les deux dirigeants de l'organisation se trouvent en prison », ont déclaré les organisateurs.
« Ces personnes n'ont pas fléchi devant la possibilité de se retrouver en prison parce qu'elles étaient fermes dans leur foi et qu'elles se sont battues pour l'indépendance et la démocratie. Ce sont de vrais héros », a déclaré George Clooney sur la chaîne de télévision CBS à la veille de la remise du prix.
En 2022, le prix Nobel de la paix a été décerné à Ales Bialiatski, le président du centre de défense des droits humains Viasna, au Centre ukrainien pour les libertés civiles et à l'organisation russe de défense des droits humains Memorial. Le comité Nobel l'a annoncé le 7 octobre 2022.
Cette année, c'est pour la sixième fois que le défenseur des droits humains a été nominé pour le prix Nobel de la paix. Ales Bialiatski est devenu le troisième lauréat du prix Nobel de la paix qui le reçoit tout en étant en prison ou en garde à vue.
« Les lauréats du prix de la paix représentent la société civile de leur pays », a déclaré le comité Nobel. « Depuis de nombreuses années, ils promeuvent le droit de critiquer le gouvernement et de défendre les droits fondamentaux des citoyens. Ils ont fait un effort exceptionnel pour documenter les crimes de guerre, les violations des droits humains et les abus du pouvoir. »
Le comité a noté qu'Ales Bialiatski était l'un des initiateurs du mouvement démocratique qui avait émergé au Bélarus au milieu des années 1980. Il a consacré sa vie à la promotion de la démocratie et du développement pacifique de son pays.
« Les autorités ont tenté à maintes reprises de faire taire Ales Bialiatski », souligne le comité Nobel. « Il reste en prédétention, sans procès, depuis 2021. Malgré d'énormes difficultés personnelles, Bialiatski n'a pas cédé d'un pouce dans sa lutte pour les droits humains et la démocratie au Bélarus. »
On sait qu'Ales a rapidement appris l'attribution du prix.
« Lors de l'entrevue, il était évident que c'était une surprise pour lui aussi, une nouvelle joyeuse dont il ne s'en remettait pas. Il est très impressionné par la nouvelle », a déclaré Natallia, femme d'Ales.
Le 10 octobre 2022, les experts de l'ONU ont demandé la libération immédiate du lauréat du prix Nobel Ales Bialiatski et d'autres défenseurs bélarussiens des droits de humains.
« Il existe une grave lacune dans la procédure de poursuites pour les violations flagrantes des droits humains au Bélarus, et nous saluons la solidarité de la communauté internationale et tous les efforts inlassables fondés sur le droit international pour que la justice soit rendue. »
De nombreuses personnalités se sont exprimées au sujet de l'attribution du prix au défenseur bélarussien des droits humains. Par exemple, le président américain Joe Biden a déclaré :
« Les lauréats du prix Nobel nous rappellent que même dans les jours sombres de la guerre, face à l'intimidation et à l'oppression, l'aspiration universelle aux droits et à la dignité ne peut être détruite. <…>
Au fil des ans, ils se sont battus sans relâche pour les droits humains et les libertés fondamentales, notamment le droit à la liberté d'expression et à la critique ouverte. Ils ont accompli leur mission avec passion et persévérance. <…> Même en prison, Ales Bialiatski n'a jamais abandonné sa revendication des libertés démocratiques que le peuple bélarussien mérite. <…>
Avant tout, les gens courageux qui se sont engagés dans ce travail ont recherché la vérité et ont documenté pour le monde entier les faits de la persécution politique de leurs concitoyens ; ils ont élevé leur voix, ils ont résisté, ils ont gardé le cap, ils ont défié les menaces de la part de ceux qui cherchaient à les réduire au silence. Ainsi ont-ils tendu notre monde plus fort. »
L'attribution du prix Nobel de la paix à Ales a encouragé non seulement le lauréat lui-même, les défenseurs des droits humains et les Bélarussiens qui ne sont pas emprisonnés, mais aussi d'autres prisonniers politiques. La prisonnière politique et rédactrice en chef de TUY.BY, Maryna Zolatava, a écrit à ce sujet depuis le centre de détention provisoire :
« Au cours de ces dix-huit mois, j'ai ressenti des sentiments très différents, tantôt négatifs, tantôt positifs. La dernière nouvelle positive est qu'Ales Bialiatski a remporté le prix Nobel de la paix.
Les nouvelles arrivent bien en décalé ici, mais, juste quelques minutes avant d'apprendre cette nouvelle, je marchais dans le couloir de la prison à côté de lui. Et lui, si humble qu'il est, n'a rien dit.
Imaginez cela un peu : quelques cellules vous séparent de l'homme qui a remporté le prix Nobel de la paix ! Je pense que ce prix Nobel de Bialiatski est une source d'encouragement et d'inspiration pour tous les prisonniers politiques. C'est absolument comme ça ici, à Valadarka. »
TLa première Bélarussienne à remporter le prix Nobel, Sviatlana Alexievitch a également commenté l'attribution du prix au défenseur des droits humains :
« Je considère Bialiatski comme une figure mythique de la lutte bélarussienne. Il l'a mérité et c'est même trop peu dire. Ce prix lui appartient depuis longtemps.
Ce que Vyasna, son projet, a fait et continue de faire dans ces circonstances, c'est le reflet de son esprit et de sa philosophie. J'en suis très heureuse.
Nous devrions tous dire qu'il doit être en liberté, avec son peuple. Il est difficile d'imaginer ce que les autorités vont lui faire, mais une telle personne ne peut pas rester en prison, c'est une humiliation pour le peuple et pour les autorités elles-mêmes, si seulement elles le comprennent », a-t-elle souligné.
Le défenseur des droits humains Ales Bialiatski n’a pas pu recevoir personnellement le prix Nobel de la paix car il est emprisonné par le régime bélarussien. Ainsi, c’était sa femme Natalia Pintchouk qui a prononcé le discours au nom d’Ales à la cérémonie à Oslo le 10 décembre. Pour la première fois dans l’histoire du prix Nobel, le discours a été délivré en bélarussien.
Vos Majestés Royales, Vos Altesses Royales, membres distingués du Comité Nobel, Mesdames et Messieurs !
C’est avec beaucoup d’émotion que j’accepte ce privilège de prendre la parole ici lors de la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix 2022. Parmi les lauréats figure mon mari Ales Bialiatski.
Malheureusement, il ne peut pas recevoir ce prix en personne. Il est emprisonné au Bélarus. C’est pourquoi je suis montée à cette tribune.
Je tiens à exprimer ma profonde gratitude au comité Nobel norvégien, dont la décision a renforcé la détermination d’Ales de rester ferme dans ses convictions et a donné à tous les Bélarussiens l’espoir qu’ils peuvent compter sur la solidarité du monde démocratique dans leur lutte pour leurs droits.
Je remercie tous ceux qui ont soutenu Ales, ses amis et sa cause au fil des années et qui le soutiennent maintenant.
Je tiens à féliciter chaleureusement le Centre pour les libertés civiles et la Société internationale Memorial pour ce prix bien mérité. Ales et nous tous comprenons combien la mission des défenseurs des droits humains est importante et risquée, surtout en cette période tragique d’agression russe contre l’Ukraine.
Ce n’est pas seulement Ales qui est en prison, mais des milliers de Bélarussiens, des dizaines de milliers de personnes réprimées, injustement emprisonnées pour leurs convictions. Des centaines de milliers de personnes ont été contraintes de quitter le pays simplement parce qu’elles voulaient vivre dans un État démocratique. Malheureusement, au Bélarus, les autorités mènent depuis des années une guerre contre leur propre peuple, sa langue, son histoire et contre les valeurs démocratiques. Je le dis ici avec douleur et comme une mise en garde, car les événements politiques et militaires d’aujourd’hui menacent la souverainété et l’indépendance du Bélarus.
Malheureusement, les autorités préfèrent communiquer avec la société par la force, avec des grenades, des matraques, des tasers, des arrestations et des tortures sans fin. Il n’est pas question de compromis ou de dialogue national. Elles traquent les filles et les garçons, les femmes et les hommes, les mineurs et les personnes âgées. Le système montre son visage inhumain dans les prisons bélarussiens, surtout à ceux qui rêvaient d’être libres !
Au vu de cette situation, ce n’est pas un hasard si les autorités ont arrêté Ales et ses collègues du Centre des droits humains Viasna pour leurs convictions démocratiques et leurs activités en faveur des droits humains. Marfa Rabkova, Valiantsin Stefanovitch, Ouladzimir Labkovitch, Leanid Soudalenka, Andreï Tchapiuk et d’autres défenseurs des droits humains sont derrière les barreaux. De nombreux défenseurs des droits humains font encore l’objet d’une enquête et sont poursuivis en justice, et certains ont été contraints à l’émigration. Mais le Centre des droits humains Viasna-96, fondé il y a plus de vingt-cinq ans par Ales et ses associés, « ne peut être ni brisé, ni freiné, ni retenu ! »
Ales n’a pas pu transmettre le texte de son discours depuis la prison, il n’a réussi qu’à me dire quelques phrases. Je vais donc partager avec vous ses réflexions : celles qu’il m’a passées depuis la prison et celles qui ont été notées précédemment. Il s’agit de fragments de ses discours, écrits et réflexions antérieurs. Ce sont ses réflexions sur le passé et l’avenir du Bélarus, sur les droits humains, sur la paix et la liberté.
Je donne maintenant la parole à Ales.
Il se trouve que les personnes qui apprécient le plus la liberté sont souvent celles qui en sont privées. Je me souviens de mes amis, défenseurs des droits humains de Cuba, d’Azerbaïdjan, d’Ouzbékistan, je me souviens de ma sœur spirituelle iranienne Nasrin Sotoudeh. J’admire le cardinal Joseph Zen de Hong Kong. Des milliers de personnes sont actuellement emprisonnées au Bélarus pour des raisons politiques, ce sont tous mes frères et sœurs. Rien ne peut arrêter leur aspiration à la liberté...
Aujourd’hui, le Bélarus entier est en prison. On voit derrière les barreuax des journalistes, des politologues, des syndicalistes dont plusieurs sont mes amis et connaissances… Les tribunaux fonctionnent comme un tapis roulant, les condamnés sont emmenés dans les colonies et de nouvelles vagues de prisonniers politiques viennent prendre leur place
Ce prix appartient à tous mes amis défenseurs des droits humains, à tous les militants politiques, aux dizaines de milliers de Bélarussiens qui sont passés par les tabassages, la torture, les arrestations, les prisons. Ce prix appartient aux millions de citoyens du Bélarus qui ont défendu leurs droits civils. Il met en lumière la situation dramatique et la lutte pour les droits himains dans notre pays.
J’ai eu un court dialogue récemment.
— C’est quand que tu seras libéré ? m’a-t-on demandé.
— Je suis déjà libre, libre dans mon cœur, ai-je répondu.
Mon âme libre s’élève au-dessus de la geôle et du Bélarus aux contours d’une feuille d’érable.
Je regarde en moi-même : mes idéaux n’ont pas changé, n’ont pas perdu leur valeur, n’ont pas terni. Ils sont toujours avec moi, et je les garde du mieux que je peux. C’est comme s’ils étaient coulés dans l’or, à l’abri de la rouille.
Nous voulons construire une société plus harmonieuse, plus juste et plus bienveillante. Réussir un Bélarus indépendant et démocratique. Nous rêvons d’une vie agréable et confortable dans ce pays. Cette idée est noble, cohérente avec les perceptions globales de la civilisation. Nous ne rêvons pas de quelque chose de spécial ou d’extraordinaire, nous voulons tout simplement « nous appeler des humains », comme le disait notre classique Yanka Koupala. Cela comprend le respect de soi et des autres, les droits humains, un mode de vie démocratique, la langue bélarussienne et notre histoire.
J’ai la foi, car je sais que la nuit passe et que l’aube vient. Je sais que ce qui nous pousse inlassablement en avant, c’est l’espoir et le rêve.
Martin Luther King a payé son rêve de sa vie, il a été tué. Je paye mon rêve moins cher, mais il y a quand même un prix à payer. Je ne le regrette point. Parce que mon rêve vaut ce prix. Mes idéaux sont similaires à ceux de mes amis aînés et maîtres spirituels : Vaclav Havel, Tchèque, et Vasil Bykaù, Bélarussien. Tous deux ont relevé de grands défis dans leur vie, tous deux ont fait beaucoup pour leurs peuples et leur culture, tous deux ont lutté pour la démocratie et les droits humains jusqu’à leurs derniers instants.
Il est impossible d’avoir une bonne récolte dans un champ vide. Il faut bien fertiliser la terre, il faut enlever les pierres… Le champ laissé au Bélarus après 70 ans du règne communiste peut être comparé à de la terre brûlée... Il y a eu des moments, à la fin des années 1980, où on se connaissaient tous littéralement de vue… Mais au début des années 1990, nous étions déjà des milliers et des dizaines de milliers...
Le 9 août 2020, une élection présidentielle a eu lieu au Bélarus. Les falsifications massives ont poussé les gens à descendre dans la rue. Le combat entre le Bien et le Mal a commencé. Le Mal était bien armé. Et du côté du Bien, il n’y a eu que des manifestations de masse pacifiques inédites dans le pays, rassemblant des centaines de milliers de personnes.
Les autorités ont réagi en lançant un mécanisme répressif de torture et de meurtre : Raman Bandarenka, Vitold Achourak et bien d’autres en sont tombés victimes. C’est un degré ultime et inimaginable de la répression. Les gens sont soumis à d’horribles tortures et à des souffrances inimaginables.
Les cellules et les prisons ressemblent plutôt à des toilettes publiques soviétiques, et les gens y restent en captivité pendant des mois et des années. Je suis résolument contre l’emprisonnement des femmes ; imaginez seulement les conditions de leur détention au Bélarus, cette antenne de l’enfer sur terre !
Les déclarations faites par Loukachenko confirment que ses forces de sécurité ont carte blanche pour instiller la peur et forcer les gens à abandonner. Mais les citoyens du Béarus réclament justice. Ils exigent que ceux qui ont commis des crimes de masse soient punis. Ils exigent des élections libres. Le Bélarus et la société bélarussienne ne seront plus jamais tels qu’ils étaient auparavant, pieds et poings liés. Les gens se sont éveillés...
Désormais, dans toute la région, une lutte entre le bien et le mal, dans son état presque pure, a lieu en permanence. Un vent glacial venu de l’Est est entré en collision avec la douce brise de la renaissance européenne.
Il ne suffit plus d’être éduqué et démocratique ; il ne suffit plus d’être humain et charitable. Nous devons être capables de défendre nos acquis et notre Patrie. Ce n’est pas sans raison qu’au Moyen Âge, la notion de Patrie était associée à celle de Liberté.
Je sais exactement quelle Ukraine conviendrait à la Russie et à Poutine : une dictature soumise. A l’instar du Bélarus d’aujourd’hui, où l’on n’entend point la voix du peuple opprimé.
Des bases militaires russes, l’énorme dépendance économique, la russification de la culture et de la langue : voilà la réponse à la question de quel côté se trouve Loukachenko. Au Bélarus, les autorités ne sont indépendantes que dans la mesure où Poutine les y autorise. Par conséquent, il faut combattre « l’internationale des dictatures ».
Je suis défenseur des droits humains et donc partisan de la résistance non violente. Par nature, je ne suis pas une personne agressive non plus et j’essaie toujours de me comporter comme ça. Cependant, je comprends bien que le bien et la vérité doivent pouvoir se défendre. Du mieux que je peux, je garde la paix dans mon âme, je la nourris comme une fleur vulnérable, je bannis la colère. Et je prie pour que la réalité ne me force pas à déterrer une hache enfouie depuis longtemps et à défendre la vérité une hache à la main. La paix. Que la paix demeure dans mon âme.
Ce 10 décembre, je veux répéter pour tout le monde : « N’ayez pas peur ! » Ces mots ont été prononcés par le pape Jean-Paul II dans les années 1980, lorsqu’il a visité la Pologne communiste. Il n’a rien dit d’autre à cette époque, mais cela a suffi. J’ai la foi parce que je sais que le printemps vient toujours après l’hiver.
J’ai cité Ales Bialiatski. Et je conclurai par son cri de l’âme : Liberté pour le peuple bélarussien ! Liberté pour Viasna ! Vive le Bélarus !
La traduction a été faite par la Voice of Belarus
Depuis fin juillet 2021, Ales Bialiatski était détenu au centre de détention provisoire dit Valadarka. Pour soutenir le lauréat du prix Nobel, vous pouvez envoyer une lettre ou une carte postale à l'adresse :
Penal colony No. 9, 16 rue Dabraliubava, Horki, 213410
Aliaksandr Viktaravitch Bialiatski
En outre, vous pouvez